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Ingie Chalhoub

Ingie Chalhoub D.R.

L'ESPRIT CRÉATIF LE SENS DES AFFAIRES

Ingie Chalhoub est sans doute née sous une bonne étoile. Tout lui réussit. Sa success story n’en finit pas de se renouveler, de se réinventer. Présidente du Groupe Étoile qui rassemble quelque 80 grandes marques de luxe et opère en parallèle avec Chalhoub Group, elle s’est également lancée dans la direction artistique en créant sa propre Maison, Ingie Paris.

 

Fière d’avoir importé la mode occidentale au Moyen-Orient, l’Entrepreneuse, femme d’affaires, passionnée de fashion vit à 100 à l’heure et se qualifie de, «workaholic», un mode de vie, dit-elle sur un ton amusé, que lui a transmis son mari Patrick Chalhoub, coprésident du plus grand groupe de luxe dans le Golfe et au Moyen-Orient. Si celle qui est régulièrement listée au top des femmes les plus influentes de la région et collectionne titres et honneurs, c’est grâce à sa détermination sans égale, sa persévérance, son approche pointue, sa vision avant-gardiste de la mode. Un parcours sans faute couronné par l’une des plus prestigieuses distinctions françaises, puisqu’elle a récemment été promue au rang de Chevalier de la Légion d’honneur, en même temps que son époux. Cette décoration leur a été remise, lors d’une cérémonie au quai d’Orsay, par le ministre français de l’Europe et des Affaires Étrangères, Jean Yves le Drian. Ingie Chalhoub a répondu sans détour aux questions de Femme.

 

Comment toute cette aventure a-t-elle commencé?

L’ouverture de la Boutique Chanel à Koweït avec ma mère a constitué le point de départ de ma carrière dans l’univers de la mode. J’étais en contact avec les gens de Chanel parfums dont les Chalhoub étaient les représentants, ils m’ont demandé si j’étais intéressée par la Couture, parce qu’ils avaient l’intention d’ouvrir des franchises. Je me suis dit pourquoi pas? Mais sans ma mère qui m’a encouragée, qui était à mes côtés pour me soutenir, je n’aurais pas pu le faire. Elle avait l’expérience, puisqu’elle avait eu une boutique multimarques de vêtements pour enfants à Koweït pendant plusieurs années. Le démarrage n’a pas été facile. D’un autre côté, j’ai toujours été très manuelle, à 8 ans déjà, je découpais des robes à mes barbies, à 14 ans, j’ai gagné un concours de dessin sur une reproduction d’Adam de Michelangelo, ma mère m’avait aussi initiée aux arts plastiques, aux canevas, aux tapis. Parallèlement à mes études à La Sorbonne, j’ai pris des cours de peinture et de poterie et, depuis que j’étais étudiante, je rêvais d’ouvrir une boutique de mode, fascinée que j’étais par le côté artistique de ce domaine. Le démarrage n’a pas été facile, Chanel était connu pour les parfums, pas encore pour la mode dans cette partie du monde. J’ai commencé seule avec ma mère, au début, on n’avait même pas d’employés et au bout de 3 ans, nous avons ouvert un vrai multimarques avec Dior, Kenzo, Lacroix, Alaïa… Puis j’ai commencé à expérimenter d’autres marques et j’ai aussi lancé de nouveaux talents comme Montana, Valentino. Les grandes maisons françaises haut de gamme ne connaissaient pas le Moyen-Orient, il a fallu travailler dur pour les convaincre du potentiel de ce marché. Quand ils ont compris sa dimension ils ont même réalisé des collections entières adaptées à cette clientèle. On a ainsi développé la mode de luxe dans ces pays. Et, au fur et à mesure, ça s’est bien passé. Durant la guerre du Koweït, on a beaucoup souffert. Puis j’ai recommencé le multimarques Étoile avec Patrick et le Groupe Chalhoub à partir de Dubaï. À la fin de la guerre, maman a réouvert Koweït, puis ce fut l’Arabie, Bahreïn, Qatar, même le Liban… et d’autres. On s’est étendu, j’ai gardé quelques franchises à Beyrouth dont Ralph Lauren…

 

On sait qu’il n’est pas aisé de se frayer une place dans le milieu de la mode parisienne, or votre marque s’est vite intégrée dans la Chambre syndicale. À quoi attribuez-vous ce succès?

En fait, j’aime bien les challenges, c’est pourquoi j’ai voulu repartir à la source de ce que j’aimais faire. Un retour à la création. Comme j’aimais la mode dans ce qu’elle a d’artistique, je me suis dit pourquoi ne pas faire des capsules à intégrer dans mes multimarques? J’ai ainsi eu recours à un consultant lié à Lacroix et au groupe LVMH, qui siégeait aux mêmes boards au sein de certains groupes. Jean Jacques Picard, c’est son nom, m’a encouragée et m’a mis sur la voie. J’ai aussi fait un stage d’été chez Esmod, cela m’a quelque part renforcée. Je n’avais pas besoin de ça, pense Jean Jacques, l’important, dit-il, c’est d’avoir la vision, le know how, une expertise du business de la mode. Moi, j’avais envie de savoir que je pouvais revenir au dessin. Je me suis donc entêtée… Ce passage chez Esmod m’a donné plus de courage et renforcé mes connaissances sur le corps de la femme, le shape, les coupes, les matières nobles. Aujourd’hui, j’ai mon atelier à Paris et entre production et création, nous sommes au total, une équipe de 12 personnes. Il était important d’avoir le know how in house. Il faut dire que les capsules que j’ai proposées à Dubaï pour tester le marché se vendaient aussi bien que les grands noms.

Depuis trois ans, mon produit est vendu au Bon Marché et dans des points de vente niche haut de gamme à Cannes, Londres… Le 5 mars j’ai finalement ouvert le grand flagship de Ingie Paris dans la grande expansion du Dubaï Mall. Ce qui ouvre de nouveaux marchés, l’indien, le chinois, l’iranien et d’autres. Et ce n’est pas fini, il reste beaucoup de choses à faire. Je prépare la collection pour la fashion week parisienne, une collection encore plus haut de gamme. Je me challenge tout le temps! Il faut reconnaître que dès l’ouverture de la première boutique Chanel, la presse a été formidable avec moi. Cette reconnaissance était très importante. Pour la Chambre Syndicale, la vérité est que je n’y avais pas du tout songé. Je ne pensais pas être prête. Mais dès que Ingie Paris a été exposée au Bon Marché, ce sont eux qui m’ont contactée, je ne les connaissais même pas, ils avaient dû entendre mon nom ou connaître le chemin que j’avais parcouru dans la profession. J’avais un nom construit au travers d’autres marques!

 

D’où puisez-vous votre inspiration?

Les voyages, les galeries d’art, les musées… Là, je reviens de Moscou, j’étais avec les Bleus, en compagnie de mes garçons et de mon mari. Saint-Pétersbourg, les belles cathédrales, les palais… L’inspiration vient beaucoup de l’art. Ma première découverte a été La Chapelle Sixtine! Et aussi la vie au jour le jour est inspirante, quand on a un œil sur les merveilles de la nature. Les impressionnistes, Andy Warhol, ou encore Jackson Polack, Kandinsky sont très inspirants. J’aime aussi m’asseoir dans un café pour regarder les passants, voir comment les femmes s’habillent, comment elles retraduisent la mode qu’on leur crée, un apprentissage que j’avais fait en boutique avec mes clientes. Comment elles réagissent et réinterprétent la mode, mon expérience en boutique m’a beaucoup apporté à ce niveau là. Il faut être réceptif, on apprend des autres tous les jours. En fait, la vie est une source d’inspiration. C’est cela qui me passionne et m’aide à me remettre chaque jour en question. Je ne prends jamais rien pour de l’acquis.

 

Brillante femme d’affaires et directrice artistique: comment faites-vous pour réussir dans deux mondes apparemment contradictoires, celui des chiffres et celui de la création?

C’est pourquoi, j’ai mis un CEO à Ingie Paris, c’est lui qui gère. Je ne peux pas avoir deux casquettes dans la société. Pour le groupe Étoile, les marques se sont aujourd’hui organisées. Ils savent ce qu’ils doivent faire. Ils se sont créé leur propre réseau, de connaissances et d’apprentissage. Ils n’ont plus autant besoin de nous qu’autrefois. Le besoin qu’ils ont maintenant, c’est la gestion, et c’est ce qui me barbe le plus! J’ai un acquis dans le business pour pouvoir le faire, mais ce n’est pas l’aspect le plus passionnant de la mode. Le plus passionnant, c’est la mode pour la mode. D’ailleurs, j’avais été très sélective dans les marques que je représentais, parce que je ne voulais pas des marques dont je n’étais pas convaincue. Je l’ai fait pour le plaisir. Puis Ingie Paris est arrivée comme la cerise sur le gâteau, du Prêt-à-Porter, Croisières, et du business de red carpet. Je ne fais pas de la haute couture, on peut appeler cela du prêt-à-couture.

 

Qu’est-ce qui est en train de changer dans la mode aujourd’hui, à votre avis?

Tout est en en train de changer, on est dans un monde de fous avec les millenials, la transformation digitale, il y a de nouveaux consommateurs, les millenials pensent différemment. Par exemple, moi j’ai du mal à comprendre comment on peut acheter certaines choses sans toucher, sans voir. Pour eux c’est normal! L’expérience en boutique se perd, c’est dingue! Je pense que le retail continuera à évoluer pas de la même façon, il faudra développer des concepts Omni channels, c’est-à-dire regarder la collection avant d’aller acheter en boutique ou le contraire. Les deux approches sont complémentaires, comme le print et le digital. Un équilibre va se mettre en place. La mode va vouloir s’approprier ces millenials et s’adapter à cette transformation digitale sans perdre son identité.

 

Quel avenir pour le luxe alors?

Moi, je suis comme Philippe Starck, je me dis pourquoi ne pas démocratiser? Mais en même temps, il y a une clientèle qui est friande de ces produits de grand luxe. Quelque part, on va devoir démocratiser, oui, c’est ce que fait le fast fashion, mais les grandes marques vont plus vers le très haut de gamme, avec une influence incroyable des broderies, des paillettes… C’est sûr qu’il va y avoir quelque part un retour en arrière. La mode est cyclique. En architecture par exemple, il faut voir la richesse qui se déploie dans le contemporain, on fait du très luxueux dans le minimalisme. Le monde actuellement est plus connecté, plus rapide. Le mouvement see now buy now a été créé par Burberry et Tom Ford, un coup de marketing et un coup de génie aussi. Aujourd’hui, la cliente V.I.P. veut acheter tout de suite. Dans l’exécution, c’est plus compliqué que cela, les grands peuvent s’organiser pour mettre beaucoup de moyens dans les réseaux, mais les petits risquent de disparaître. C’est plus compliqué pour les nouveaux talents. Ceux qui n’ont pas un réseau en distribution et en retail ne peuvent pas suivre le mouvement.

 

Vous êtes une femme occupée, à quoi consacrez-vous le peu de temps libre que vous vous accordez?

J’aime voyager et accorder du temps à ma famille. Un temps de qualité avec la famille, c’est ma priorité. Il faut se donner aussi du temps pour se ressourcer. Donner du temps à la lecture, aux galeries d’art, à la famille, même au couple…

 

Vos secrets pour conserver la forme et avoir tout le temps la pêche?

Je commence ma journée très tôt avec des cours de Pilates, tous les matins, à Paris ou à Dubaï. C’est très important pour moi. Je crois beaucoup au sport, à la forme du corps et de l’esprit, body and mind. Être dans le bien-être et bien avec soi-même, il faut s’occuper de soi en premier pour que tu puisses t’occuper des autres. C’est comme dans les avions, tu mets le masque d’oxygène à toi d’abord pour le mettre après à ton enfant. J’ai besoin d’un temps à moi, ensuite je peux me donner pleinement à la famille et au travail.

 

Quelles sont les valeurs essentielles que vous avez voulu transmettre à vos enfants?

Le hard work, la passion dans ce qu’ils font. Je crois vraiment qu’il faut aider les enfants à trouver leur voie et leur permettre de vivre leur passion. La vie est trop courte, alors la passer à faire quelque chose que l’on n’aime pas! J’ai aussi voulu leur apprendre à rester humbles, à ne pas être arrogants avec les autres, du plus petit au plus grand. On a besoin des autres, des équipes… Il s’agit de les former et de les faire grandir avec toi.

 

Vous arrive-t-il de vous retrouver de temps à autre derrière les fourneaux?

(Éclats de rire) J’ai pris des cours de cuisine en Thaïlande, mais ce n’est pas ma passion. Je me fais aider, on va dire! Par contre, j’aime recevoir, m’organiser pour avoir toujours de bons plats à la maison, pour les enfants, d’ailleurs ils aiment bien leur ventre. Je ne peux pas dire que je suis un as des fourneaux mais je me débrouille. C’est l’hospitalité à l’orientale. À Noël, ça se passe toujours chez moi, c’est la tradition. Je réunissais les deux familles. Il y avait parfois 24 personnes qui dormaient à la maison. Depuis Koweït, j’ai toujours voulu réunir les Chalhoub avec la famille Cressot, la famille Achkar, les Shehadé…

 

Vous avez reçu de multiples prix et distinctions, on vous qualifie de powerful woman, de femme d’influence, de papesse de la mode, vous avez fait les couvertures de plusieurs magazines… Que ressentez-vous face à tous ces honneurs qui vous sont rendus?

La reconnaissance, c’est important. C’est sûr. Là, on a eu la Légion d’honneur Patrick et moi, c’était un bel accomplissement! Au Quai d’Orsay, le ministre Le Drian a dit que c’était très rare de décerner cette distinction à un couple. C’est aussi bien pour l’égalité, pour les femmes, non? Les derniers à avoir reçu la Légion d’honneur en tant que couple étaient Pierre et Marie Curie! Je crois beaucoup en l’égalité des sexes. Il y en a qui croient que les femmes ne peuvent pas parvenir à un certain niveau, j’ai pu prouver le contraire. C’est la plus belle reconnaissance de la France! Ça me touche profondément, et cela ouvre la voie à d’autres femmes, et à d’autres couples. C’est pourquoi, je suis très dans le mentoring de nouveaux talents. Avec les émissions comme Project Runway, j’ai encouragé des jeunes femmes saoudiennes qui ont lancé leur marque. J’essaye de donner un peu aux autres, l’appui que j’ai reçu au fil de ma carrière, un peu de ce que j’ai pu avoir comme privilèges.

 

Des rêves que vous n’avez pas encore réalisés? What’s next?

C’est toujours important de se challenger. De se fixer des objectifs dans la vie, dans le travail, dans la vie familiale. Mon objectif était d’ouvrir Dubaï Mall, maintenant c’est de faire grandir ma marque à l’international, être toujours créative pour répondre aux besoins de la clientèle. C’est sûr que j’ai au cours des années fidélisé une certaine clientèle, le challenge aujourd’hui est de pouvoir attirer une nouvelle clientèle. Je ne veux pas grandir partout en même temps, maintenant, je me concentre sur l’Europe et le Moyen-Orient que je veux consolider, le reste suivra zone par zone. Donc consolider, avant d’aller conquérir de nouveaux marchés. Toujours dans la mode, c’est ma passion.

 

Ghada Baraghid

 

 

 

 

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Editorial

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