«L’imagination avant toute chose»

Président du centre Belge de la B.D. depuis 1992, chargé de cours à l’Institut d’Art de Diffusion à Louvain-La-Neuve, et scénariste fulgurant du
monde de la B.D, Jean Van Hamme a, depuis 1968, vendu 43 millions d’albums en néerlandais et en français. Largo Winch, Thorgal, XIII, les Maîtres de l’Orge, Lady S, Blake & Mortimer… proposent des scénarios à rebondissements truffés d'aventures. À 76 ans, il reste motivé par l’écriture.

Invité au salon du Livre par l’Institut Français du Liban en collaboration avec Wallonie-Bruxelles International, pour la sortie de son ouvrage «Mémoires d’Écriture» dans lequel il revient sur son parcours, il a répondu aux questions de Femme.

43 millions d’albums vendus en 50 ans, un exploit…
Un record presque. Mais Astérix et Obélix a fait mieux!

Ce n’est pas votre première visite au Liban…
Je suis venu en 1966, alors que je travaillais pour la société américaine US Steel, puis en 1995 dans le cadre du Salon du Livre… Les choses ont bien changé depuis. En 1966, je me suis dit: c’est le pays où j’ai envie de vivre. Il y avait cette multi-culturalité, le beau temps, une belle qualité de vie; mais je n’avais pas les moyens de déménager à cette époque. En 1995, le pays était démoli… Aujourd’hui la place est libre pour les voitures et pas pour les piétons, même les chaussées sont envahies par les véhicules!

Vous êtes ingénieur, qu’est-ce qui vous a poussé à faire de l’écriture?
J’ai toujours écrit. À un moment j’ai réalisé que j’allais devenir directeur général de Phillips en Belgique, d’où le tourment et le tournant effectué, car je me suis rendu compte que je me trompais de vie. Le seul échec est de ne pas tenter par peur de l’échec… Ça aurait pu rater pour moi, mais ça a réussi. Je vais vous faire un aveu, je déteste contrôler, donc j’aurais fait un très mauvais directeur!

Qu’est-ce qui vous a motivé à écrire sur votre parcours?
Un bouquin a été écrit par un garçon qui me posait des questions sous forme d’interview. Je trouve les questions ennuyeuses quand il s’agit d’écrire un livre, c’est factuel et impersonnel. Par contre, pour un article, il le faut! Je me suis alors dit, pourquoi passer par quelqu’un d’autre; je préfère écrire ce que j’ai envie d’écrire.

Que faites-vous depuis que vous avez arrêté d’écrire des séries et des albums?
J’écris des pièces de théâtre pour grand public sans grande considération. Pas de vaudevilles, ni de comédies, plutôt le style Agatha Christie. Je suis à la deuxième actuellement. Ça parle d’un cabinet ministériel et tous les coups bas sont permis avec des histoires de sexe aussi; il y en a toujours dans mes histoires, j’aime cela et tout le monde aime cela aussi, même si on n’en parle pas dans les dîners!

Quels genres d’écriture préférez-vous?
J’aime beaucoup les romans qui tournent autour de l’histoire, la politique et également l’espionnage. Je n’aime pas trop les romans policiers bien que j’ai eu ma période. J’apprécie les livres intimes que je lis sur conseil de ma femme, qui me les recommande.

Quelle place pour la B.D. actuellement?
Moins active qu’avant. Il y avait la B.D. des magazines puis en 65, dans les albums. Depuis 25 ans déjà le lectorat en costume et cravate a abandonné à cause du travail et a été remplacé par les 13/15 ans, qui à leur tour la délaissent pour se tourner vers les tablettes… Résultat: il y a une surproduction au niveau des titres et hélas une chute des ventes.

Quelle série avez-vous eu le plus de plaisir à écrire?
Toutes m’ont donné du plaisir. C’est très curieux, car le plaisir vient tout d’abord en cherchant une idée générale, ça peut prendre 2 à 4 semaines. Puis, je cherche un bon rebondissement. Ensuite, une fois par semaine, une idée formidable arrive, et je ressens un orgasme intellectuel intense, ce qui me met de bonne humeur. Un plaisir jouissif que seul soi-même on peut se donner.

Quel regard portez-vous sur l’évolution de la B.D?
Hélas, oui il y a un changement sur la forme; il n’y a plus d’idées originales parce qu’il y a un déni de l’imaginaire. On assiste à beaucoup d’adaptations de romans, de biographies de personnages… on abandonne les séries pour quelle raison? Parce que de nombreux éditeurs ont des problèmes de disponibilités financières et si la série ne fonctionne pas ils abandonnent et préfèrent faire un «one shot» en un à trois volumes et réaliser des albums de 150 à 200 pages faits à la va-vite et pas chers.

Un hobby?
Avant c’était écrire, puis c’est devenu un métier. Actuellement, voyager avec ma femme et à ce jour la découverte de 120 pays.

Des sources de bonheur?
Amoureux de ma femme toujours! Être en bonne santé pour pouvoir continuer à voyager une fois l’année avec mes
5 enfants et 8 petits-enfants pour leur faire découvrir d’autres civilisations. (Rires) Lorsque je n’avais pas assez d’argent, je les prenais dans une van de 12 places et puis le train, puis l’avion et maintenant parfois en classe business.

Qu’est-ce que vous appréhendez?
La mort ne m’effraie pas. Je crains de devenir gâteux et de ne pas m’en apercevoir et aussi, traverser la route à Beyrouth!

Votre principal trait de caractère?
Ma principale qualité est aussi mon principal défaut: je m’aime bien! Je suis en accord avec moi-même, ce qui me permet d’être bien avec les autres, sans être égoïste, ni méchant, ni d’avoir la grosse tête mais à défaut peut-être de ne plus être capable de m’autocritiquer, et il faut faire attention à cela. Et puis ça m’a économisé des séances de psy.

E.T.