Après le saumon fumé et le foie gras, le caviar serait-il le troisième produit, jadis de luxe, à devenir un produit de grande consommation? Nous n’en sommes peut-être pas encore là mais le fait est que ça bouge dans le monde fermé du petit grain noir.
Vive le caviar d’élevage
Savez-vous quels sont aujourd’hui les principaux pays producteurs de caviar? La Russie ou l’Iran? Et bien non, ce sont la Chine (35 tonnes de production annuelle) et l’Italie (25 tonnes) qui arrivent en tête talonnés par la France (20 tonnes). Quelle en est la raison? Essentiellement la fin du caviar sauvage qui a été pêché à l’excès pendant les décennies d’après-guerre. Aujourd’hui, le caviar sauvage n’est plus qu’un vieux souvenir et les quelques esturgeons qui restent libres dans la nature sont protégés depuis la convention internationale de 1982. Attention donc si l’on vous propose d’acheter du caviar sauvage; il s’agit forcément d’esturgeon de contrebande ou plus sûrement de l’arnaque pure.
De l’élevage à la mise en boîte
L’élevage aura-t-il avec l’esturgeon le même succès qu’avec le bar, la daurade ou le saumon? Rien n’est moins sûr. L’esturgeon est beaucoup plus délicat et son cycle de vie est très long, soit plusieurs décennies. Ce poisson, qui a très peu évolué depuis 200 millions d’années, a certes traversé des périodes géologiques variées et perturbées, il n’en reste pas moins qu'il est fragile et à peu près sans défense face à l’homme et sa frénésie de pêche. La mer Noire et la mer Caspienne qui assuraient autrefois la production de caviar d’exception, russe et iranien, sont aujourd’hui stériles et leur récente protection ne portera pas ses fruits avant de nombreuses années.
En France, il existait une variété d’esturgeon nommée Sturio. Il en demeure quelques exemplaires mais trop peu pour préserver cette espèce endémique. Des chercheurs ont donc favorisé la reproduction des derniers spécimens et ont relâché dans la Gironde des poissons issus de la fécondation assistée. Ces poissons sont aussi proches que possible des Sturio originels. Leur allure est la même et depuis peu leur nombre recommence à augmenter en milieu sauvage. Il est encore beaucoup trop tôt pour en reprendre la pêche mais ces signes sont encourageants, affirment les experts.
En attendant qu’ils se reproduisent en grande quantité et le temps se compte, non pas en années, mais en décennies avec les esturgeons, certains pionniers comme la maison Sturia ont eu l’idée dans les années 90 de tenter l’expérience du caviar d’élevage. Cette idée apparemment simple cache cependant une réalité beaucoup plus complexe. Il a tout d’abord fallu sélectionner les variétés d’esturgeon qui pouvaient s’accommoder en captivité et les élever de manière à ce que le caviar soit suffisamment bon pour intéresser les gourmets amateurs du caviar d’antan. Au début, le caviar d’élevage avait un goût de vase relativement prononcé, explique Laurent Dulau, Directeur Général de Sturia, qui ne lui permettait pas de se comparer à son cousin sauvage. Petit à petit, les recherches, les croisements et les sélections d’espèces, les choix des aliments, la connaissance des animaux et de leur cycle de vie et tout un tas de détails que le producteur maintient plus ou moins secrets, ont fait que le caviar d’élevage est maintenant comparable voire meilleur que le caviar sauvage.
R.C.