Madame fait son mea-culpa. Elle présente ses plates excuses. À ceux qui la critiquent. À tous ceux qui l’accusent de ternir l’image d’un pays. Rêvé. Ceux qui lui reprochent de parler souvent de faillite. D’échec. Ceux qui ne comprennent pas son humour noir, son sourire jaune et son rire sarcastique.
Il est vrai, Madame s’énerve. Elle tempête. Elle rit. Elle pleure. Chaque mois. Dans ces colonnes. Celles d’un mensuel féminin. Léger. Un mensuel qui dessine une société toute en contradiction. Qui au fil des pages parle de mode, de féminité, de beauté… D’un Liban frivole. Comme Madame l’aime aussi. Et auquel elle, comme tous les autres, tente de s’accrocher…
Mais Madame, à l’image de ce magazine, sait aussi garder les pieds bien ancrés dans la terre. Et parler de sujets qui fâchent, avec le plus grand sérieux, quand il le faut. Car, Madame voit le danger. Aussi, elle se sent dans l’obligation de dénoncer. Et comment faire autrement, lorsque le paysage politique est au paroxysme de la puanteur? Et que la poubelle ne fait que se multiplier depuis des mois dans les rues?! Si seulement ils avaient appliqué une bonne politique de gestion de crise en attendant de trouver de toute urgence une solution à cette catastrophe… Tiens, une campagne nationale d’éducation au tri des déchets ménagers par exemple, qui aurait commencé depuis le mois de juillet, histoire de réduire le volume des détritus amoncelés depuis… Mais non! Même pas… Alors Madame presse le bouton d’alarme. Elle en rit. Mais elle n’en est pas moins horrifiée. Elle en rit encore. Mais elle s’inquiète de plus en plus. L’humour, c’est son arme. Son bouclier. Même s’il cache mal sa détresse.
Elle garde le sourire. Surtout dans les moments difficiles. Mais elle se révolte. Sans forcément hausser le ton. Ses mots tombent comme des couperets. Elle aimerait qu’ils déchirent ce nuage, ces bulles dans lesquelles chacun de ses concitoyens s’est réfugié. Elle aimerait qu’ils sortent tous de leur cocon. Qu’ils arrêtent de vivre au jour le jour sans penser aux lendemains qui déchantent. Et en ignorant le présent qui fout le camp, déjà. Les Libanais, tous des cigales? Madame, aussi, aime les dîners, les soirées, les brunchs, les goûters… Mais sait-on ce que l’on mange? Ce que l’on boit? Même lorsque l’on est si joliment apprêté? Désormais, Madame se méfie même des particules de l’air qu’elle respire…
Oui, Madame sait que le Liban a une belle nature. Que ces montagnes enneigées ou ces vagues qui se fracassent au large de ses côtes sont une grâce… Elle s’émeut encore devant un coucher de soleil aperçu à l’horizon. Mais ce qu’elle craint, c’est justement le jour où cette bénédiction mutera en malédiction. Elle a peur de la fonte des neiges. Et du spectacle de désolation qui apparaîtra, quand on arrachera le dernier arbre qui cache la forêt. Et que la mer se retirera…
Aussi, à une amie qui lui reproche cette vision apocalyptique et qui lui demande pourquoi elle reste là dans ces conditions, Madame répond qu’elle dénonce justement ces mêmes raisons de tout plaquer… Pour leur tordre le cou! Si elle se révolte, c’est qu’elle s’entête à trouver des raisons de rester. Contrairement à ceux qui se résignent à vivre dans la médiocrité ambiante. Ou tout simplement à partir.
Car Madame, ses coups de gueule, elle les veut constructifs. Non surtout ne pas râler et rester plantée là. À la parole, elle joint l’action. Elle s’implique. Madame est prête à se battre. Pour tout reconstruire. De nouveau. À l’image de ce pays rêvé. Oui, Madame est une rêveuse. Mais elle se donne les moyens de ses rêves. Et pour cela, elle voudrait tant ne pas être la seule à amorcer le changement.
Parce que le Liban est son pays et qu’elle n’a pas envie de s’en aller chercher un autre, Madame veut bien être fourmi. Et appeler à un moment d’éveil. Ici et maintenant. Car le printemps venu, après avoir nagé tout l’été et skié tout l’hiver, les cigales vont se retrouver bien dépourvues.
L.Z.