Le code pénal libanais rédigé en 1943 aborde la question des prisonniers atteints de troubles psychiques et coupables d’un crime. Ces malades, que le code qualifie de «fous» et d’«aliénés mentaux», ne doivent être libérés qu’après leur «rétablissement total» comme le précise la loi. Une aberration de plus qui a poussé l’actrice et Drama-Thérapeute Zeina Daccache à se lancer dans un nouveau combat en faveur de ces êtres qui croupissent en prison. Objectif: remuer les consciences et faire bouger les choses!
En 2012, lors d’une session de Thérapie par le Théâtre que Zeina Daccache effectuait à la prison des femmes à Baabda, une prisonnière s’introduit doucement dans la salle. C’était la première fois que Zeina la voyait. Celle-ci n’avait jamais quitté sa chambre. Pâle, elle participait difficilement aux exercices et semblait totalement absente. Cette femme est atteinte d’une maladie psychique, a-t-on expliqué à Zeina. «Presque» condamnée à perpétuité, elle ne sera libérée qu’une fois guérie de sa maladie! Abasourdie par cette aberration, Zeina décide d’en savoir plus.
Elle se lance dans la lecture des lois relatives aux prisonniers qui souffrent de troubles mentaux et découvre que «l’article 232 du code pénal libanais, stipule que les prisonniers «fous» doivent être incarcérés dans une unité psychiatrique spéciale pour bénéficier de soins particuliers, jusqu’à ce que le tribunal décide de mettre fin à leur incarcération, après preuve de leur guérison».
Une injustice qui interpelle Zeina à un point tel qu’elle décide d’aller à la rencontre de quatre magistrats, parmi lesquels celui qui a jugé la prisonnière en question. Zeina voulait comprendre comment avait-il pu prononcer un verdict pareil, sachant qu’aujourd’hui comme la médecine le confirme, on ne guérit jamais d’une maladie mentale, on la traite, on la gère, avec des soins adéquats! L’artiste va aussi à la rencontre de directeurs et responsables dans le milieu carcéral ainsi que des membres du Parlement et des représentants des deux ministères de la Justice et de l’Intérieur. Elle cherche à savoir s’ils sont au courant que les détenus atteints de troubles mentaux sont incarcérés avec les autres prisonniers (vu qu’il n’existe aucune unité psychiatrique dans les 23 prisons libanaises, hormis celle de Roumié pour les hommes, appelée «The Blue Building», mais qui ne ressemble en rien à une unité psychiatrique), qu’ils ne reçoivent aucun soin particulier, alors que selon la loi, ils y ont droit! Certains le savaient, d’autres pas. Mais ils ont tous reconnu que ces cas sont soumis à une loi qui remonte au temps du mandat ottoman, et qui n’a jamais été remaniée!
Des lois obsolètes
Alors que la France a réexaminé ses lois, au Liban, 60 ans plus tard, rien n’a été fait! En 2013, grâce à des fonds octroyés par l’Union Européenne et en collaboration avec les ministères de la Justice et de l’Intérieur, Catharsis (L’ONG de Zeina Daccache) s’est lancée dans un énorme projet de réforme, «The Untold Story of forgotten behind bars» qui comprenait plusieurs volets. «Nous avons dû dans un premier temps recenser les prisonniers atteints de troubles mentaux présents dans les deux prisons de Roumié et de Baabda, explique Zeina Daccache. Puis nous avons procédé à l’examen des articles du droit pénal, en les comparant à ceux des autres pays; et avec l’aide du juge Hamza Charafeddine, nommé par le ministre de la Justice Ashraf Rifi, nous sommes en train d’élaborer un nouveau projet de loi que nous allons soumettre au parlement pour approbation. Nous avons par ailleurs organisé un atelier de Thérapie par le Théâtre à l’adresse de ces prisonniers. Nous avons préparé une pièce interprétée par des détenus de la prison de Roumié et aussi par les malades qui souffrent de troubles psychiques.»
Depuis juin 2015, Catharsis a aussi organisé des tables rondes regroupant les juges pénaux de tous les Mohafazats du Liban (Nord, Sud, Békaa, Mont-Liban et Beyrouth) pour les sensibiliser aux problèmes de ces prisonniers particuliers et mettre au point une législation adaptée à leur cas.
Le droit à des soins adéquats!
Le questionnaire auquel 212 prisonniers tous âgés de plus de 18 ans (198 dans la prison de Roumié et 14 dans celle de Baabda) ont répondu a montré que plusieurs d’entre eux souffrent de dépression, ou alors sont psychotiques et bipolaires.
«Ces prisonniers peuvent constituer un réel danger pour eux-mêmes et pour les autres avec lesquels ils cohabitent, car ils ont des hallucinations, entendent des voix, et ont une perception différente de la réalité, martèle Zeina Daccache. Il est donc urgent de les isoler et de leur prodiguer des soins adéquats pour les aider à s’en sortir!»
Interrogées sur la question, les autorités pénitentiaires ont répondu qu’une telle démarche était impossible «en raison de l’absence d’unité psychiatrique spéciale dans les prisons.» Or, le bâtiment «The Blue Building» avait été construit en 2002 pour ces cas-là, mais n’avait jamais été emménagé comme unité psychiatrique.
Aujourd’hui, 30 personnes atteintes de problèmes mentaux sont incarcérées dans ce bâtiment et ne bénéficient d’aucun traitement spécial. C’est ce sujet extrêmement humain que Zeina Daccache va pointer du doigt dans sa nouvelle pièce de théâtre qui sera jouée par les prisonniers eux-mêmes, au sein même de la prison de Roumié.
Questions à Zeina Daccache
Comment s’est faite la sélection des acteurs?
Il y a 55 acteurs, qui chantent, qui dansent et qui jouent. La moitié sont des malades qui ont des troubles mentaux, les autres sont, pour la plupart, des condamnés à perpétuité. C’est délibérément que j’ai fait ce choix, car tous ces acteurs sont condamnés à mourir en prison.
Comment avez-vous rédigé le scénario?