Elle habille les femmes de cuir surpiqué et de tenues bien cintrées. Pourtant rien de plus fluide ou de plus chic que les «solutions vestimentaires» créées par Karine Tawil pour la marque Karoline Lang. La styliste libanaise, qui produit désormais six collections par an, vient d’ouvrir son premier show-room à l’étranger. Rencontre au 45 avenue Montaigne (Paris), au pied d’un olivier.
C’est une jeune femme qui prend à rebours les codes de la mode. On attend un show-room de plain-pied, une vitrine au ras du trottoir: or elle vient d’ouvrir une vraie «maison de mode» dans un appartement haut perché de l’avenue Montaigne où les happy few s’annoncent d’un coup de sonnette. On la supposait féministe tant ses tenues accompagnent la femme active dans sa mue vestimentaire du matin jusqu’au soir: mais elle avoue que l’on s’habille aussi pour faire friser l’œil de son amoureux. On l’imagine en folle de mode depuis l’enfance mais elle est juste née avec un sens très sûr de «l’image et de la représentation, de celles qui ouvrent des portes». On lui parle frivolité du secteur, elle répond rigueur et structure, même si la «bande de copines» qui préside à la destinée de sa marque lui reconnaît un sacré sens de la camaraderie. Bref, de quelle étoffe est faite Karine Tawil, la styliste qui a lancé la marque Karoline Lang il y a deux ans et signale avec son nouveau show-room-boutique parisien son arrivée sur le marché international?
Armures de cuir et de flanelle
Mousseline, coton, dentelle et cuir: ses matières fétiches n’ont pas varié d’un pli depuis qu’elle a lancé en 2010 ses premières lignes de robes évasées qui valsaient autour des jambes. En pièce-icône: la Padded, une jupe courte faite de panneaux bombés comme les valves d’un coquillage. Déclinée très vite dans différentes longueurs, la Padded accompagne toujours des collections qui ont gagné en longueur et fluidité sans rien perdre de leur maintien. Des lignes architecturées, mais pas d’effets décoratifs. «Je ne fais pas juste de l’esthétique, assure Karine Tawil. Ce n’est pas de l’art. Je me préoccupe de la fonction, de ce qui permet à la femme d’affronter le monde.» D’où des «habits-carapaces», pour lesquels 80% des étoffes proviennent de drapiers spécialisés en mode masculine: des flanelles, des lainages, des cotonnades, des popelines italiennes qui «font que l’homme, lui, est net, propre, sans que l’on se focalise sur le vêtement.» Le cuir est une matière têtue qu’elle dompte pour bâtir des pièces entières (jupes et bustiers) ou pour agrémenter d’un détail rigide une épaule ou le devant d’une robe. Comme pour les étoffes plus fines, la styliste opère sur le cuir un travail impressionnant de surpiqures. Ce sont ces fines nervures plissées et tendues, réalisées à la main!, qui constituent le capitonnage de ces délicates «armures» féminines. Une marque de fabrique appliquée au prêt-à-porter de jour, dont sa ligne de chemises blanches plastronnées façon smoking. Comme aux robes du soir, mousseuses sous leurs lignes altières, ou aux robes de mariée qui renoncent aux falbalas mais pas à la dentelle, d’un minimalisme arachnéen.
«Je voulais être architecte mais je me suis beaucoup cherchée; ce fut une vraie lutte pour trouver ma voie», raconte Karine Tawil qui a démarré des études d’économie puis quitté le Liban pour suivre le programme Fashion Marketing à Milan. Une révélation: elle devient commerciale mais devine dans la mode un support possible pour sa créativité. Puis passage à l’Institut Français de la Mode (IFM) à Paris pour décrocher un diplôme en design et gestion. «Je n’ai jamais fait d’études de mode. Je n’ai donc pas de règles, mais une grande liberté, comme une autodidacte.» Embauchée chez Marni en Italie, elle est chargée d’habiller les clientes: «Cinq ans de contacts avec des femmes qui me disaient tout de leurs défauts et de leurs problèmes. Épuisant! Mais ce côté intime avec le corps a été mon école.» Depuis, Karine Tawil est «trouveuse de solutions concrètes» pour des femmes dont elle marque la taille («la plus belle partie du corps») et dont elle allonge aujourd’hui la silhouette dans des robes à mi-cheville. Sa mode actuelle a des accents années 50 revisitées par le goût de l’asymétrie.
Histoires de femmes
Si, tous les mois, elle regagne sa boutique de Paris pour orienter ses clientes en sur-mesure, c’est au Liban que se joue ce dont elle est le plus fière. «Tous nos modèles sont fabriqués et produits dans notre atelier. Nous avons formé des artisans à de nouveaux métiers de couture, fait venir des machines pour travailler le cuir, puis des experts étrangers pour surveiller la production, dans un souci de qualité parfaite. Et nous avons créé des emplois!» Gare! Au 45 avenue Montaigne, c’est un arbre qui accueille le visiteur. Un olivier fiché dans un cercle de terre meuble, face à la porte d’entrée. Il raconte qu’ici aussi c’est un peu terre libanaise, même si Karine Tawil situe sa mode dans un autre-deux, ni orientalisant, ni exclusivement européen. Mais l’arbre, c’est également cette généalogie toute en femmes de caractère dont elle est issue et dont elle traduit en vêtements l’élégance d’esprit et l’éducation reçue. «D’ailleurs, moi je ne suis qu’une branche de l’arbre. À ce titre, je ne voulais pas mettre mon nom sur l’étiquette. Trop prétentieux!», explique la jeune styliste qui, en feuilletant un album de famille, a découvert une photo de sa grand-mère. En décor, un arbre; sous l’image, un nom: Karoline Lang. Désormais le souvenir de grand-mère Line, aux racines autrichiennes, fertilise la société qui porte son nom. Et tant mieux si «par une coïncidence extraordinaire!», Lang a en allemand le même sens que Tawil en libanais.
Valérie Appert