L’hommage de Marc Lambron à son frère décédé
Nouvel élu sous la coupole de l’Académie Française, Marc Lambron est énarque, normalien, agrégé de lettres. Et pourtant, il n’est devenu ni ministre ni professeur d’université. À 57 ans, il préfère être critique littéraire, chroniqueur, romancier et essayiste…
Invité pour la troisième fois au Salon du Livre, il a présenté son dernier opus: «Tu n’as pas tellement changé»… Un hommage à son frère disparu en 1995.
Cet esprit brillant, faux désinvolte qui a beaucoup écouté les Stones quand ils étaient encore les Stones, préfère surtout écrire des livres, tour à tour cinglants et mélancoliques, où il sait avec le même talent, portraiturer un Nicolas Sarkozy en président Juke-Box, ou encore offrir un bouleversant hommage à son jeune frère, mort du sida en 1995, «pour empêcher Frigide Barjot d’en instrumentaliser la mémoire…», comme il le dit si bien.
DES ORIGINES MODESTES…
Avec un grand-père ouvrier métallurgiste, et une mère enseignante dans les écoles publiques… «Eh oui, dit-il, c’est une tradition française, c’est un scénario classique: un grand-père ouvrier, un petit-fils Président de la République… De plus, lorsque l’on est fils d’enseignant, on est toujours bon élève. Et la lecture était déjà un grand plaisir pour moi. Ce qui m’étonnait, c’est qu’il s’agissait d’un plaisir valorisé, alors que c’est rarement le cas n’est-ce pas? L’école, lieu du devoir, représentait pour moi un lieu de plaisirs… Découvrir les langues étrangères, l’Histoire de mon pays, ou encore Molière. Mes plaisirs coïncidaient donc avec mes devoirs. Et le virus de la lecture s’est très vite emparé de moi. Les grands lecteurs caressent toujours le rêve d’écrire un jour.» Les écrivains sont souvent de grands lecteurs.
UNE PLACE DE CHOIX POUR LA FAMILLE
«À 57 ans, je suis père de trois enfants… qui ont la même mère. C’est une rareté aujourd’hui. Je n’ai pas l’habitude de raconter ma vie de famille dans des livres. Mon frère, de quatre ans mon cadet, est décédé en 1995. J’ai écrit ce livre juste après sa mort et ce n’est qu’aujourd’hui, 18 ans plus tard, que j’ai décidé de le publier. Il fallait bien attendre le temps du deuil, mais je ne voulais pas que ce temps devienne le temps de l’oubli. Je ne voulais pas que son passage ne laisse aucune trace. Ce livre est comme une stèle de mots et d’écriture rendant hommage à quelqu’un que j’ai beaucoup aimé. Mon frère était homosexuel et lorsqu’il a appris qu’il avait le sida, il n’avait que 26 ans. Il a souhaité faire le silence autour de sa maladie sans compter qu’il n’affichait pas son homosexualité. Il a circonscrit le cercle de personnes appelées à le savoir; il craignait en effet la compassion sadique accompagnée d’arrière-pensées heureuses. Bref, il voulait se prémunir contre la curiosité malsaine des tiers. L’homophobie était à son apogée à l’époque. Étant son frère aîné, je l’avais toujours précédé dans les expériences de la vie, mais lorsqu’il m’a fait part de sa maladie, dès lors, il me précédait dans l’anticipation de la mort… De grand frère, je devenais donc son petit frère avec cette expérience tragique et universelle, celle d’une mort avancée. Durant huit ans, ce face-à-face caché, dissimulé aux tiers, a été une expérience fondamentale dans ma vie, celle d’accompagner un être faisant face à sa vérité ultime. Mais ce qui m’a vraiment poussé à publier le livre, c’est le comportement de Frigide Barjot lors des manifestations pour la sauvegarde de la famille traditionnelle. Cette chef de file du mouvement s’est servie publiquement du nom de mon frère pour s’exempter de tout soupçon d’homophobie. Philippe Lambron a été l’amour de sa vie. «Je suis contre le mariage des gays mais je ne suis pas homophobe, la preuve, j’ai été follement amoureuse d’un homosexuel, Philippe Lambron, frère de l’écrivain Marc Lambron…» Tel était son message… Je n’ai pas du tout apprécié cette «captation de mémoire» car si mon frère était vivant, elle n’aurait jamais évoqué ni fait usage de son homosexualité publiquement.»
Pourquoi ce titre?
«C’est sa phrase. je la lui rends… À quelques mois de sa fin, mon frère a sorti une photo qu’il avait gardée tel un fétiche, un talisman: j’avais 8 ans, il en avait 4. En la regardant, alors que j’avais 36 ans, il m’a dit: «Tu n’as pas tellement changé»… Nous serions donc éternellement les deux enfants de la photo. J’ai été très touché. À mon tour, je lui rends ses paroles. Dans ma mémoire, il restera toujours le petit frère que j’ai eu.»
UNE DEVISE DE VIE…
«Personne ne sait ce que nous sommes… J’aime cette phrase qui en dit beaucoup sur la condition humaine, car la noblesse de la vie n’est pas dans la certitude, mais elle consiste à se poser des questions jusqu’au bout.»
DEVENIR ACADÉMICIEN… C’EST…
«Ce sont quatre siècles d’histoire française. Cette institution a 380 ans à ce jour. Je représente le tout petit morceau d’une longue histoire. L’Académie Française est une institution particulière car la France est le seul pays où le goût d’écrire peut porter à être élu dans une maison existant depuis quatre siècles. Il n’existe aucune académie aussi ancienne en Europe. On peut parler d’exception, de continuité et de pérennité française. Ici, la langue excède la Nation, et c’est ce qui fait sa beauté.»
M.S.B.