Madame les connaît. Bien. De vue. Ou mal. C’est selon. Dans ce petit pays, elle connaît du moins quelqu’un qui les connaît. À moins qu’ils ne soient apparentés, de loin ou de près. Des cousins. Directs, ou même par alliance…
Voilà, dans son pays, les gens, difficile de les ignorer. De faire comme si on ne les voyait pas. Parce que eux voient tout, entendent tout. Sont à l’affût de tout. Et s’il leur arrive de rater un épisode de la vie des autres, alors ils vont vite tenter de corriger cette lacune, auprès… d’autres! Qui, eux, n’auront sûrement rien laissé passer, même les détails les plus intimes de la vie. Et c’est justement ce qui intéresse le plus, ces gens. Alors, il n’est plus avec elle? Elle le trompe? Avec qui? Elle n’est pas mariée? Elle doit être lesbienne! Et lui, non ce n’est pas vrai, il est donc finalement homosexuel!!! Mais il est marié, et père de famille! Mais si, je te jure, je le sais de source sûre. Mon chauffeur est le meilleur ami de son chauffeur qui l’a surpris au lit avec un autre homme. Ah! Et pourtant moi on m’a rapporté une version différente. Le chauffeur l’aurait accompagné au hammam, et l’aurait attendu dehors… Mon cousin qui les a vus, me jure par contre que le cuisinier a pris le bain aussi… Et, tu ne connais pas la dernière? Untel s’est suicidé! Si si, on vient de me le confirmer. Quelle lâcheté! Ah non quel courage… blablabla.
Voilà. Ainsi vont les conversations, pour peu que celles-ci impliquent la vie des autres. Avec ceci de particulier que, dans ces conversations, on privilégie les raccourcis, et on a vite fait de sauter aux conclusions… Et, il est impossible de les en empêcher, ces amis ou ces étrangers, de faire leur cinéma en scrutant la vie des autres. D’interpréter, chacun à sa façon, en se basant sur sa propre compréhension, sur ses informations (vraies ou fausses)… Pour un jour, se mettre en colère, se braquer, faire des messes basses, porter des jugements… «Moi, à sa place… etc»! Ou au contraire, soudain faire les yeux doux, ou lancer des regards de merlan frit, jaloux, envieux… L’enfer, c’est alors les autres. Ces gens qui s’ennuient. Qui vivent pour et par les gens. Qui se nourrissent de leurs histoires. Par curiosité. Par vacuité. Sans rien vraiment connaître de leurs vies!
Aussi, Madame a beau essayer de prévoir leurs réactions, elle est toujours, à un moment donné, agréablement ou désagréablement surprise… par les gens. Parce que, quoi qu’elle fasse, quoi qu’elle dise, elle restera incomprise par certains. Mais parce qu’aussi, avec d’autres, nul besoin de mots, il suffit d’un regard… Parce que non, décidément, dans la relation aux gens, rien n’est jamais acquis, il reste à Madame une certitude: c’est bien au fil des événements et au rythme des réactions des uns et des autres que l’on apprend à connaître les gens. Qu’on s’y attache. Qu’on les apprécie encore davantage. Ou que l’on s’en détache.
Parce qu’on ne peut pas plaire à tout le monde, n’en déplaise à quelques-uns, Madame choisit donc de vivre selon ses préceptes. Et d’écouter ses envies. Indifférente aux gens. Qui parleront un temps. S’ennuieront à un moment. Puis s’intéresseront à d’autres gens. Ainsi va la vie, des gens. Mais Madame garde l’espoir qu’un jour, dans ce petit pays, les gens décideront de vivre (pour eux). Et de laisser vivre (les autres). Ils se mentiront alors moins à eux-mêmes. Et aux autres. Et tous n’en seront que plus heureux. Et s’ennuieront moins. Dans ce pays.
L.Z.
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