Oui, oui, Madame en a un. Maintenant que ce débat est du goût du jour, elle remercie le ciel d’être née quelque part. Bien qu’elle soit fière du cèdre qui trône dans son cœur et sur la couverture de son passeport, son lieu de naissance a souvent été perçu comme une tare, quand il s’agit de voyager.
Très vite, Madame a dû se rendre à l’évidence: son passeport ne l’emmène pas bien loin!
En effet, si l’envie la prend de quitter «sa Suisse du Moyen-Orient», son document de voyage n’est pas toujours d’une grande utilité. Elle a beau s’habiller comme il faut. Se coiffer et arborer son plus beau sourire, la plupart des pays étrangers ne lui souhaiteront pas la bienvenue. Ils lui ont clairement signifié que ce petit livret violet ou bleu foncé ne valait pas grand-chose. À leurs yeux. Pour l’accueillir sur leur sol, un visa d’entrée bien tamponné à même le passeport était indispensable. Qu’à
cela ne tienne, Madame, faute de choix, s’est exécutée!
Il y a quelques années, l’obtention de ce précieux tampon s’apparentait à un véritable chemin de croix. Des files interminables, à l’aube… Des questions saugrenues sur les raisons de son voyage… L’instant paraissait tellement grave, qu’en entrevue, Madame n’a jamais osé dire qu’elle prend l’avion aussi pour faire du shopping, s’installer sur un banc, s’étendre dans l’herbe d’un parc bien entretenu… Elle s’est souvent sentie obligée de donner des raisons bien plus sérieuses, voire culturelles, réminiscences de ses cours d’histoire et de géographie… afin d’accorder à son périple une importance à la hauteur de toutes ces formalités fastidieuses!
Puis, au fil des ans, elle s’est prise au jeu, et son passeport s’est retrouvé joliment recouvert de tampons de tous bords et de tous pays…
Mais elle n’est pas au bout de ses peines. Alors qu’elle n’avait rien vu venir, voilà qu’on lui met de nouveau des bâtons dans les roues! Détentrice d’un passeport valide dument renouvelé de façon manuscrite, ou portant les mentions de rajout de ses propres enfants, elle apprend qu’il n’est plus conforme aux recommandations de l’Organisation Internationale de l’Aviation Civile. Madame a beau jurer ses grands dieux qu’elle n’y est pour rien dans ce format aujourd’hui jugé caduc, elle est néanmoins sommée par les autorités locales de remplacer son document et, à cette fin, de déposer une demande d’obtention d’un nouveau passeport – aussi nouveau que soit le sien –. In extremis! La mesure, soudainement imposée en période de fêtes de fin d’année, l’a prise de court! Files d’attente aux guichets, confusion, cacophonie, communiqués contradictoires … Madame n’y comprend rien! Mais s’y plie, en bonne citoyenne. De son pays et du monde.
Madame n’est pas le seul dindon de la farce à avoir payé de son argent, de son temps et de ses nerfs… Aussi, quand elle peste, et timidement demande: «Pourquoi tout ce ramdam devrait être effectué à mes frais?», on lui répond placidement que l’obtention d’un nouveau passeport est recommandée mais n’est pas obligatoire. Après l’urgence, voilà l’option! Et évidemment, nul responsable de ce flou dans lequel on la plonge. Épique!
Non, ce n’est pas la première fois que l’on tentera de la convaincre que tout cela est pour son bien. Une couleuvre, encore une, bien grosse. Qu’elle n’est pas prête à digérer. Même si, en avaler est devenu la spécificité de Madame. Non pas sa seconde nature. Mais sa nature intrinsèque. Son être même, en décomposition, tout comme ces déchets qui jonchent les rues, les vallées, les montagnes… est fait de couleuvres, cuisinées à cette unique sauce: le mépris. Celui de tout un peuple.
L.Z.