Les Libanais n’auront pas attendu longtemps avant de pouvoir visionner Waves ’98, Palme d’Or du court métrage à Cannes. Le film d’animation d’Ely Dagher, a été projeté dans le cadre de la Reprise de la Semaine de la critique organisée par l’Association Metropolis et l’IFL. Entre la poésie et le surréel, la liberté d’un artiste.
Il est d’une simplicité désarmante, Ely Dagher, le «Libanais récemment primé à Cannes». Un sourire semi esquissé qui devient parfois franc et frais, il se prête au jeu des questions / réponses, même si on ressent parfois dans ses propos cette envie de laisser son film s’exprimer à sa place, lassé sans doute de répéter les mêmes propos sur la genèse de son film, le chemin parcouru jusqu’à Cannes, la victoire…
Omar, le personnage principal, vit à Beyrouth, emmuré, isolé dans un statu quo routinier qu’il subit tout en refusant d’y adhérer. Comment y échapper? Comme surgie de nulle part ou ayant de tout temps été là dans le ciel de la ville, plane en apesanteur une espèce d’OVNI à l’allure imposante, un mélange entre le célèbre Grendizer, personnage manga adulé par toute une génération – il fera une apparition dans le film –, et un vaisseau spatial inspiré de ces mêmes dessins animés. Un OVNI, une «bulle», un «monde parallèle». Entrée de plain-pied dans un ciel débouchant sur la mer loin, très loin, et pourtant si près, avec cette envie prenante d’y rester. «Nous étions dans un autre monde. Nous étions nous-mêmes le monde entier», dira Omar.
Une exploration personnelle
L’idée de Waves ’98 est partie d’un questionnement qui taraudait Ely Dagher. Résidant depuis des années entre Bruxelles et Beyrouth, à chaque fois qu’il revenait au pays, il se sentait submergé par l’étrange sentiment d’être dans une bulle, détaché de la réalité, déconnecté de tout ce qui se passe autour que ce soit au niveau politique, économique ou social. Alors qu’à l’extérieur, il passait son temps à suivre les nouvelles. «Le film est une exploration de ces idées-là, pour découvrir s’il s’agit de quelque chose de négatif ou de positif.» Et comme le suggère Waves ’98, la réponse à laquelle il a abouti reste tout aussi mitigée, aussi fermée et ouverte que cette bulle à la fois menaçante et apaisante qui plane au-dessus de Beyrouth.
Cette exploration personnelle, qui se devait de rester telle quelle, a dicté les choix du processus créatif; de la décision d’alterner images d’animation et images en prise de vue réelle pour combiner le côté réel de la ville et l’ambiance surréelle du film, à l’idée de présenter des personnages animés et non de vrais acteurs en se concentrant sur le rôle accordé à Beyrouth, autre personnage principal. D’alterner aussi des images en couleurs et en noir et blanc pour différencier les deux narrations, celle de 98 et celle d’aujourd’hui, qui se recoupent parfois, au travail réalisé en collaboration avec Matthew Wilcock de Zelig Sound sur la musique et le design sonore, «le film étant poétique et lyrique, la musique est primordiale et se devait d’être conçue en même temps que le film.»
Et ce n’est que le début
Diplômé de l’ALBA en Animation 2D/3D et Direction artistique et Illustration, détenteur d’un Master en Nouveaux Médias et Arts Contemporains du Goldsmiths College de Londres, Ely Dagher est au faîte des récentes technologies pour son travail de commandes. Mais en ce qui concerne ses projets personnels, c’est toujours l’aspect artistique qui prime: «Je trouve des solutions qui correspondent à ce que je veux raconter, au contenu, sans avoir nécessairement recours aux techniques les plus récentes.»
Électron libre, on s’étonne même de la manière dont il est arrivé à Cannes, en envoyant tout simplement son film. Sélectionné dans la catégorie des courts métrages, il se trouve en compétition avec huit autres films, la plus grande partie étant des films en prise de vues réelles et un seul autre film d’animation. Il recherchait d’ailleurs un festival qui n’opère pas de distinction au niveau du média, lui évitant ainsi de se retrouver en compétition avec des films d’animation pour enfants. Une compétition qu’il remporte haut la main: la Palme d’Or n’est pas ce qui est le plus essentiel pour lui, mais le fait que ce prix va lui faciliter la réalisation d’autres projets. Son prochain film est déjà en préparation. «Il ne sera peut-être pas aussi directement inspiré de Beyrouth, mais c’est encore à voir.»
N.R.