Il en fallait du courage pour ce jeune homme né dans l’une des familles les plus prestigieuses des Émirats Arabes Unis pour annoncer à ses parents qu’il se lançait dans la création de chaussures. Ce fut un pavé dans la mare! «Ma mère ulcérée ne m’a plus adressé la parole pendant deux ans!», avoue-t-il. Et pourtant, c’est elle qui indirectement lui a donné le goût de la mode et du luxe.
Issu d’une fratrie de dix, le jeune Sultan Al-Darmaki avait l’habitude d’accompagner sa mère dans des virées shopping à Beyrouth, Paris ou Londres. Cette mère, qui a toujours été sa muse, avait un goût pointu et plutôt extravagant comparé à celui de ses compatriotes émiraties. Le futur designer a pu ainsi affûter son œil en observant le choix des pièces de haute couture que sa mère faisait dans des maisons comme Dior, Elie Saab ou Givenchy. Mais de là à voir son fils devenir créateur de souliers, même de luxe, la Sultane avait du mal à accuser le coup.
Il faut dire que, même si le jeune Sultan avait l’habitude de faire des croquis de vêtements et accessoires depuis l’âge de 10 ans, il a quand même commencé par suivre la carrière que son milieu lui imposait; il avait entrepris des études de finances et travaillait dans ce domaine. Jusqu’au jour où il décide de franchir le pas et de se consacrer à sa véritable passion: le design de souliers de luxe.
Il n’était pas question alors de demander aux parents de financer une école de stylisme. C’est donc dans une fabrique de souliers en Italie que le Sultan a tout appris sur le tas!
Une fois que ses parents ont fini par accepter l’idée, il aurait pu céder à la facilité et faire financer son affaire par la famille. C’est mal connaître l’esprit indépendant du créateur qui a réussi à trouver des financements par lui-même. Mais son «côté bédouin» comme il le dit avec humour, l’empêchait de marquer le nom de sa famille sur une semelle de soulier… c’est donc un simple D qui y figure.
Lorsque nous nous sommes rendus au show-room Darmaki dans une suite de l’hôtel Mandarin Oriental pendant la Fashion week, nous avons rencontré ce jeune homme de 33 ans à la stature imposante tout de noir vêtu… mais d’une simplicité désarmante et surtout doté d’un immense talent!
Il nous présente ses créations; des souliers à la ligne harmonieuse et à la finition parfaite. Les talons à facettes sont l’identité de la marque (Origami heel).
La success story commence en 2010, lorsque le Sultan Al-Darmaki présente une première collection pendant la Fashion week parisienne. Lui qui pensait repartir bredouille, s’est retrouvé gratifié de 5 commandes. Inespéré!
L’année suivante il élabore une collection inspirée de l’Empire Ottoman, immédiatement saluée par les professionnels de la mode.
Cerise sur le gâteau, la même année, la conservatrice du Victoria & Albert Museum de Londres lui demande de lui confier une paire de chaussures à talons aiguilles afin que celle-ci figure dans les collections permanentes du musée pour illustrer la mode contemporaine du Moyen-Orient. Une consécration pour ce jeune designer qui s’est écrié «c’était incroyable pour moi d’avoir l’une de mes créations dans l’un de mes musées préférés!»
R.C.