Depuis que les ministres de la Santé et de l’Agriculture… mènent la campagne en faveur de l’hygiène alimentaire au Liban en nommant les établissements concernés par des infractions, la polémique va bon train. Les questions fusent. Que trouve-t-on dans l’assiette des Libanais?
Les récentes déclarations du ministre de la Santé, Waël Bou Faour, ont fait l’effet d’une bombe médiatique et populaire dans la rue et sur les réseaux sociaux. Rapidement, les Libanais ont crié au scandale, se promettant de ne plus jamais mettre les pieds dans un restaurant. De ce fait, et si l’initiative est louable a priori – le secteur avait besoin de ce choc pour entamer une réforme, de nombreux responsables et organismes ont dénoncé l’approche adoptée par les ministres, Bou Faour et Chehayeb, estimant qu’ils ont «mis en péril» l’industrie alimentaire locale, le tourisme… et formulé de nombreuses interrogations sur la méthode ou l’approche avec lesquelles le dossier a été traité.
LE MINISTRE DE L’AGRICULTURE AKRAM CHEHAYEB FAIT LE POINT
Abordant la question des responsabilités, le ministre explique: «Sept ministères se partagent actuellement les compétences en la matière: la Santé, le Tourisme, l’Agriculture (inspection des productions locales), l’Industrie, l’Intérieur (pour délivrer des certificats de santé publique), l’Économie (Direction de la protection du consommateur) et les Finances (inspection des produits aux frontières). Chacun de ces ministères ne désirant céder aucune de ses prérogatives au profit d’une institution indépendante, il est essentiel de mettre sur pied un comité pour l’hygiène alimentaire regroupant les ministères, les administrations concernées et le secteur privé.»
Par ailleurs, on apprend que dans le circuit de distribution, hormis l’agriculture soumise à une certification privée, il n’existe aucune règle contraignante pour le commerçant afin qu’il spécifie l’origine de sa marchandise, son stockage, son empaquetage, son transport, sa distribution… «Ce qui empêche une réaction rapide de la part des autorités en cas de produit suspect, poursuit Chehayeb, d’où la nécessité d’appliquer les principes de traçabilité, pour retracer le cheminement d’une marchandise depuis son origine jusqu’à son arrivée au consommateur.»
«Je suis désolé d’annoncer aux Libanais que leur nourriture est imprégnée de germes et de microbes» |
Au chapitre des critères établis pour mener l’enquête chez les commerçants et les usines, les choses demeurent floues.
En l’absence d’une loi unifiant les critères, plus de 127 enquêteurs de l’association de la Protection du consommateur et de nombreux autres se déplacent chaque jour pour examiner d’éventuels produits avariés et présenter leurs rapports. «Ces documents, précise le ministre, indiquent si les produits sont ou non conformes d’abord aux normes nationales de Libnor (afin d’évaluer, par exemple, si le taux de salmonelle présent dans une volaille est acceptable ou s’il dépasse les normes admises) ou à défaut aux normes internationales adoptées par l’Union Européenne.»
Les ministres Waël Abou Faour et Akram Chehayeb au port de Beyrouth. |
À ceux qui mettent en doute la crédibilité des laboratoires, Akram Chehayeb répond sur un ton catégorique. «Malgré les critiques adressées au laboratoire de recherche à Fanar (accrédité par l’Union Européenne), le ministère de l’Agriculture soutient cet établissement. Les standards auxquels nous nous référons, notamment Libnor, sont les plus modernes en la matière, la rigueur des procédures d’examens et des prélèvements ne laissent qu’une légère marge à l’erreur. En cas de doutes sur un résultat, nous recommençons l’expérience. L’ampleur de la tâche est énorme pour le seul laboratoire de Fanar, c’est pourquoi des échantillons sont aussi transmis aux laboratoires de Kfarchima, de l’Université américaine de Beyrouth…»
Pour protéger le consommateur libanais, le ministère a adopté les mesures visant à assurer la conformité des produits importés (viande, volaille, légumes…) aux normes et aux conditions d’hygiène requises, à vérifier l’octroi de certificats sanitaires par les autorités concernées, à inspecter les aliments périmés… Les Forces de Sécurité Intérieure ont procédé à la fermeture de plusieurs établissements, dressé des contraventions et interdit la vente des produits qui ne répondent pas aux standards requis jusqu’à redressement de la situation. «Par ailleurs, la justice joue un grand rôle à ce chapitre», tient à ajouter notre interlocuteur.
En l’absence d’une loi, l’État a-t-il les moyens de veiller à l’hygiène alimentaire du citoyen? À cette question le ministre répond en toute franchise. «Je suis désolé d’annoncer aux Libanais que leur nourriture est imprégnée de germes et de microbes. Les infractions sont énormes et scandaleuses. Et le gouvernement est incapable d’y pallier. Nous espérons que la loi sur la sûreté alimentaire sera promulguée et surtout bien appliquée, dans les plus brefs délais. Il faudrait également que les ministères concernés collaborent dans ce sens.»
Marlène Aoun Fakhoury