Patricia Hakim a subi une thyroïdectomie, intervention «banale», lui avait-on dit. Ce qu’elle découvrira – avec horreur – c’est que le chirurgien lui avait, dans la foulée, sectionné ses cordes vocales. Animatrice à radio Fame, elle est devenue aphone. Elle raconte son histoire, 27 ans plus tard, dans un ouvrage qui vient de paraître.
«Je suis dans une chambre d’hôpital et j’ai subi une thyroïdectomie ce matin. Je referme les yeux et replonge doucement dans un état brumeux… Cependant, des images me reviennent…
Les premières notes de mon générique s’égrenaient déjà. Comme à chaque fois, la même émotion m’envahit au moment où je dois clôturer une émission. Une légère angoisse. Il me fallait annoncer mon absence pour un certain temps. Des vacances qui serviront à me faire opérer de la thyroïde… Une semaine d’hospitalisation, une autre de convalescence et je serai fin prête pour attaquer la nouvelle saison, que ce soit à la radio où j’avais quand même signé pour deux émissions quotidiennes, ou bien à la télé, pour une nouvelle chaîne avec qui j’avais conclu un contrat l’avant-veille… J’ai laissé passer encore quelques notes de musique, puis respirant à fond, je me suis adressée aux auditeurs.
«Nous voilà arrivés à la fin de notre émission! (…) Je vous salue dans l’espoir de vous retrouver à mon retour, dans une quinzaine… Ciao Ciao!»…
J’ouvre les paupières doucement… Comme émergeant d’un doux rêve…
Je balaye d’un regard distrait la chambre. Dans une dizaine de jours, je pourrai reprendre mes activités, et ma vie normalement.
Je demande de l’eau à ma mère. Elle se penche un peu plus. Elle ne m’entend pas.
Je fais un effort pour hausser la voix. Je veux boire!
Aucune réponse. Ça m’énerve. On ne me comprend pas. D’un geste lent et indécis, je pointe le doigt vers le verre. Enfin, je réussis à avoir ce que je veux. Ma mère me verse quelques gouttes dans la bouche en disant: «Ça suffit pour le moment, rendors-toi ma chérie!»
Je me retourne péniblement dans mon lit. J’ai la tête lourde. Mes membres sont engourdis. Je n’arrive pas à chasser complètement les brumes qui m’envahissent l’esprit.
Quelques heures plus tard on me réveille.
Le médecin est là. Il veut me voir et surtout m’entendre parler. Moi pas. Je veux me reposer et oublier ma douleur. Néanmoins, je fais la docile, et résistant à mon envie de sombrer dans un sommeil soulageant, je réponds à toutes ses questions insipides, dans le genre quel jour on est et comment je me sens et si je sais compter jusqu’à dix en ordre… Voyons, tout ça je le sais et c’est évident, non?! Je réponds correctement… Du moins c’est ce que je crois!
Bizarrement il s’entête à répéter les mêmes questions.
De partout dans la chambre fusent des: «Parle!». Et je parle. Je crie même. Toujours rien.
Autour de moi les mines se décomposent, les sourires s’effacent, les regards s’assombrissent. Et moi je parle.
Sans succès.
Oui, je veux parler, crier, hurler, rugir, pourvu qu’ils m’entendent et qu’ils me laissent dormir. Et je continue à essayer. Au bout d’une éternité, je crois entendre un grognement sourd, un cri étouffé, le cri imperceptible d’un animal blessé. Un son extrêmement faible. C’est moi…
Non, ce râlement ne peut pas être le mien. Ça ne ressemble en aucun point à ma voix claironnante, tantôt frémissante, souvent enjouée.
J’ai perdu la voix… ma voix!
Je garde les paupières closes et pleure silencieusement. Je pleure et j’en suis consciente… Je pleure une voix perdue…»
De longues années de lutte seront au rendez-vous pour cette battante qui refusera de se plier à son sort et qui finira par se créer une «voix» rauque et chuchotée, grâce à un muscle qu’elle développera pour se faire entendre.
Témoignage recueilli par B.I.