TARATATATA TATATA. TATA TATA TATATATATATA. POUET POUET. PIP PIP. Et Madame en a sûrement oublié quelques-uns. De ces klaxons. De ces musiques. De ces chansons. De ces slogans. Patriotiques. Mais le comble, c’est que certains s’en rappellent encore. Des centaines de morts et de blessés après. Des milliers de mots et de discours plus tard. Et ce, même si le ton est désespérément resté le même, des décennies plus tard. Ou, au contraire, même si les convictions ont tellement évolué qu’elles jurent par le contraire de ce qu’elles étaient. Même si les anciens ennemis se sont rabibochés. Même si, chacun de ces partis, une fois au pouvoir, s’est avéré être sinon pire, du moins aussi mauvais que ses congénères…
Le plus grave, c’est que nombre de ceux qui se servent – de nouveau – de ces slogans ou les recyclent au goût du jour n’étaient même pas nés lors de leur conception. Ou en tout cas ne savaient pas encore conduire. Assis dans le siège arrière, ils se laissaient guider par la musique, porter par le flot, et suivaient ainsi le courant. Jusqu’à la noyade généralisée. Jusqu’à la récupération des meilleures intentions. Et le détournement des plus belles réalisations. À chaque fois.
Les appellations au fil des époques ont changé, mais aujourd’hui, pour la plupart, chrétiens ou musulmans s’habillent d’orange, bleu, vert, rouge, jaune ou violet… Par peur du camp adverse, ils ont juré fidélité jusqu’à la nuit des temps à ce zaïm politique ou ce chef religieux, ultime chef d’orchestre mythifié de son vivant, ou déifié depuis sa mort. Les discours passionnels ont été transmis de génération en génération. Et des haines sont restées intactes. Au grand dam de Madame qui revoit les plus jeunes emprunter les mêmes chemins de traverse dans lesquels leurs aînés se sont perdus. À défaut d’un travail de mémoire, c’est donc une mémoire non travaillée, ni réfléchie, qui les retient dans un passé souvent peu glorifiant.
Non, Madame n’a pas oublié ces héros malgré eux (elle n’aime pas le mot martyr, aussi elle n’en fera pas usage), ou ces grands hommes tombés pour leurs convictions. Et au service de la nation. Son cœur saigne encore à la vue de leurs images placardées sur les murs de sa ville. Mais elle n’aimerait pas que d’autres, parmi les meilleurs, partent encore. Le cœur sans vie, vers d’autres cieux. Ou le cœur brisé, vers d’autres horizons. Aussi, un matin, elle a juré qu’on ne l’y reprendra plus. A fait sa propre introspection. N’a plus rien voulu entendre de toutes ces diatribes. N’a plus intégré aucun orchestre. Elle ne s’est pas détournée de ses valeurs, de ses principes, de ce en quoi elle croit, de ce à quoi elle tient… mais elle a voulu dorénavant se préserver de toutes les instrumentalisations.
Ces leaders qui enflamment les rues et déclenchent des klaxons elle n’en veut plus. Allez Zou! À la maison! Tous des pyromanes. Apprentis ou professionnels. Comme à chaque fois, le feu prendra. Il sera accidentel ou criminel. Et des victimes tomberont. Pendant qu’eux se maintiendront. Se reproduiront. Se réincarneront… Se retrouveront autour d’une même table avec leurs meilleurs ennemis. Se partageront encore une fois, le gâteau. Sans qu’au festin, Madame ne soit invitée. Et ne dites surtout pas à Madame «qu’il est des terres brûlées qui donnent plus de blé!» Elle attend encore que refleurissent tous ces printemps perdus de Beyrouth…
Mais quand soudain elle entend souffler le vent de la révolte, quelque chose qu’elle croyait irrémédiablement mort en elle, refait surface. Cet espoir, ce rêve d’un pays meilleur, la taraude de nouveau! Aussi, la voilà qui descend dans la rue. Sur la pointe des pieds. Pas si seule. D’autres sont là. Des mécontents. Et des opportunistes aussi, peut-être. Dans une foule, tous ne vont pas toujours dans la même direction. Mais tous se sont réveillés au son d’un ultime échec, d’une chute beaucoup plus retentissante que d’autres. Une goutte qui aura laissé déborder leur ras-le-bol, leur colère.
Madame, la larme à l’œil, les regarde et pense à tous ses combats passés… Enclenché, leur mouvement ira dans quel sens? Le changement tiendra-t-il toujours du Rêve dans ce pays? Qui manipule qui, à ce stade? Qui tire le tapis vers lui? Qui croit qui? Qui croit quoi? Quelles revendications brandir? Qui en profitera au final?
L’histoire mise en berne un temps est de nouveau en marche. Statu quo, ou évolution? Précipice ou victoire? L’avenir le dira. Et si cette fois, c’était possible? Décidément on ne la refera pas.
L.Z.