Sous les auspices de Janus
Du 17 au 20 septembre, au Biel, la Beirut Art Fair a dévoilé sa sixième édition sur le thème central du numérique. Bénéficiant désormais d’une certaine assise sur le plan régional, le festival a tenu son rang de vitrine des mutations de l’art: tendances mondiales, expressions nationales et nouveaux visages.
En dépit d’une situation économique et sociale peu propice, les organisateurs Laure d’Hauteville et Pascal Odille se voulaient optimistes. Le succès des précédentes éditions, le lancement réussi de la Singapore Art Fair en fin d’année précédente s’ajoutaient à un réel dynamisme de la conjoncture locale: inauguration du nouveau musée Sursock en octobre, ouverture de la Fondation Aïshti à Dbayé… Davantage qu’auparavant, ce sixième tirage a mis en relation le moderne et le traditionnel, a souligné les points de passage entre les classiques et les avant-gardistes. Une cinquantaine de galeries estampillées ME.NA.SA. (Moyen-Orient, Afrique du Nord, Asie) ont présenté leurs artistes, alors qu’au centre de la scène, l’art numérique faisait sa révolution.
Initiation à l’art numérique
Le sujet était presque incontournable, tant l’art numérique inonde aujourd’hui les galeries, les foires, les salons et les discussions passionnées.
Art de l’invisible par définition, il repose sur un programme, une technologie, où les tenants du travail manuel – classiques, puristes, réactionnaires pour certains – voient davantage l’expression d’une fuite en avant. C’est le combat des Anciens et des Modernes. Les Modernes ont déjà vaincu. Le talent de la main disparaît, l’inspiration se réalise sur les touches sombres des claviers. L’exposition «Virtual/Reality» prend le pas d’un mouvement général en pleine effervescence; son commissaire Pascal Odille a tenté d’en contourner les contradictions en proposant une lecture «déstabilisante» et initiatrice à la fois. Le spectateur est pris à parti à travers des expériences contemplatives déroutantes où il est lui-même mis à contribution. «Please Touch» de Nadine Abou Zaki invite le visiteur à toucher une sculpture a priori inanimée; au contact de la main, celle-là se meut subitement, avec lenteur et grâce. Sa gestuelle dessine sur le sol un jeu d’ombres, tandis qu’une douce mélodie en suit le rythme. Dans un autre registre, les «Boîtes optiques» de Vivian van Blerk créent aussi l’illusion, égarent les sens, développent donc une «expression artistique». L’évidence est là. Aux côtés du Sud-Africain, on a pu voir les installations de Diego Duvier Del Dago (Cuba) «Error Humao», Nadia Antonello et Paolo Ghezzi (Italie) «Ciels Étoilés», Elisabeth Caravella (France) «How To», Brigitte Zieger (Allemagne) «Eldorado Wallpaper», Janek Simon (Pologne) «Carpet Invaders» et Mat Collishaw (Grande-Bretagne) «Black Mirror».
Au sein de ce parcours dédié aux arts numériques, une tête d’affiche, Marina Abramovic. Pour la première fois à Beyrouth, la célèbre tenante de l’Art corporel était représentée par un ensemble de vidéos, «Retrospective videos», qui interrogent la mémoire sous le prisme de la performance. Dans son «Hommage à Sainte Thérèse», elle exprime son goût d’un art immatériel, dénudé, libéré des contingences, tout entier dévolu aux «énergies» qui lèvent «l’obstacle entre le spectateur et l’artiste». On la découvre en lévitation au centre d’une cuisine, bras en croix, habillée d’une toge noire dont les plis remuent presque imperceptiblement. La Galerie Kappatos qui a exposé ses œuvres, y a adjoint celles de Lynda Benglis, Martin Creed et Santiago Sierra entre autres.
Autour de cet îlot avant-gardiste, la Beirut Art Fair a convoqué comme à son habitude une ligne curatoriale tournée vers la ME.NA.SA.
Jules