Je milite donc j’existe
Ce sont des femmes. Des militantes. Elles ont décidé de s’engager sur le terrain pour contribuer à changer les choses au Liban sur le plan social et politique. Qui sont-elles? Pourquoi se sont-elles engagées dans la société civile? Que pensent leurs parents de cet engagement? Ont-elles songé un jour à quitter le pays à l’instar de ces milliers de jeunes qui le font chaque année? Comment se projettent-elles dans 5 ans?
Femme Magazine a rencontré Neemat Badreddine, Rania Gaith, May Khatib et Doumoua Houry.
May Khatib (26 ans)
Elle détient un master en Information de l’Université Libanaise (UL).
«Je suis activiste depuis 2011. Je souhaite le renversement du régime confessionnel, communautaire, sectaire. Depuis le début du Printemps Arabe, je suis de plus en plus active sur le terrain. Je ne suis ralliée à aucun parti parce qu’aucun n’arrive à me convaincre. Je souhaite un pays qui respecte les droits élémentaires des citoyens et je me battrai jusqu’au bout pour cela. Mes parents s’inquiètent pour moi mais je ne renoncerai pas. Ils ont vécu la guerre civile avec toutes ses horreurs et me disent que dans ce pays il est quasi impossible de changer les choses. J’aurai au moins essayé. Je n’aurai pas honte lorsque mes enfants me demanderont plus tard: Qu’est-ce que tu as fait pour nous? Nous devons tous renoncer à notre appartenance communautaire, ne pas craindre l’autre et l’accepter dans ses différences. Or plus l’État est absent et plus les communautés vont essayer de remplir le vide pour mieux contrôler le citoyen. C’est un cercle vicieux que nous devons briser. Mon fiancé est aussi engagé que moi. Pensez-vous que je pourrais m’entendre avec un homme indifférent à son pays alors que c’est ma bataille pour un Liban meilleur qui donne du sens à ma vie? J’ai le souffle très long, je sais que le chemin est ardu et parsemé d’embûches. C’est un projet à long terme, mais je garde l’espoir. Je ne crains pas pour ma vie parce que je n’ai rien à perdre, mieux vaut mourir que vivre sans dignité. Dans 5 ans? Je me vois tenir la main de mes enfants et descendre dans la rue pour continuer à militer.»
Rania Gaith (30 ans)
Avocate, elle fait partie des juristes qui ont pris gratuitement en charge la défense des manifestants arrêtés arbitrairement.
«À l’école, j’avais déjà cet engouement pour la chose publique. Au début, mes parents s’inquiétaient énormément pour moi. Ils ont vécu la guerre et ont choisi d’être démissionnaires, tentant sans cesse de me convaincre que le changement est impossible, que je ne dois pas perdre mon temps, ni prendre des risques inutiles. Je leur répondais immanquablement: Ne votez plus pour les mêmes puisqu’ils vous déçoivent. Actuellement, ce sont eux qui m’encouragent à aller de l’avant. J’ai la rage de voir les choses changer au Liban. Le clientélisme, le communautarisme, le confessionnalisme, la corruption… il y a tant de problèmes à résoudre mais je suis profondément convaincue qu’au bout de la lutte, on arrivera à modifier le cours des événements. Je ne connais pas la peur. Je crois en l’égalité. Ce n’est pas parce que je suis une fille que je dois éviter les premiers rangs. Je suis sur tous les fronts et ne crains pas pour ma vie. À quoi cela sert-il de vivre sans dignité, dénué de ses droits les plus élémentaires? Mes priorités? Trouver une solution définitive aux déchets. Adopter une nouvelle loi électorale basée sur la proportionnelle loin des répartitions confessionnelles. L’élection d’un président de la République.»
Dans 5 ans, Rania se voit poursuivre la lutte. «Tant que la volonté et la détermination sont là, nos actions feront boule de neige et à moyen et long termes nous atteindront notre but.»
Sa vie privée? Pas de temps à consacrer à l’amour, entièrement passionnée par sa cause.
Neemat Badreddine (34 ans)
Journaliste, elle est célibataire et milite depuis l’âge de 15 ans.
«Depuis mon plus jeune âge, je vis les injustices sociales dans ce pays. Les personnes qualifiées n’ont pas de place. Pour arriver au poste désiré, il faut suivre un Zaïm et le caresser dans le sens du poil. Après des études en Information, il m’était très difficile de décrocher un boulot mais malgré cela, je n’ai jamais pensé à quitter le Liban. Pas un instant. Cela n’a fait que renforcer ma volonté de lutter pour changer les choses. L’État est inexistant et les droits élémentaires des citoyens ne sont pas assurés. La loi électorale n’est pas représentative et fait de sorte que ce soit les mêmes qui sont élus. En 2011, j’ai activement milité pour revendiquer l’abolition du régime confessionnel, source de tous les maux. Je me suis présentée aux élections parlementaires à Nabatiyé et mes parents n’étaient pas très à l’aise avec mes choix. Mais moi je leur assurais que mes principes, ceux qu’ils m’ont inculqués, étaient la source de ma force. Je respecte les libertés et la dignité de la personne humaine.» Et la peur dans cette vie de militante? «Je ne connais pas ce sentiment et rien ne m’empêche de foncer quand je suis convaincue de le faire. D’ailleurs, j’étais parmi les personnes qui ont occupé le ministère de l’Environnement. Ma vie ne vaut pas plus cher que celle des autres. J’ai été arrêtée et battue mais en fait ce sont les responsables qui nous craignent maintenant.» Ses priorités? Une loi électorale basée sur la proportionnelle, une justice transparente libre de toute ingérence politique. «Il est temps que le Libanais voit ses besoins les plus élémentaires comblés. Dans 5 ans, j’espère être dans les centres de pouvoir pour avoir la latitude d’amender concrètement les lois et contribuer à faire du Liban un pays dans tous les sens du terme.»
Doumoua Houry (25 ans)
Diplômée en Sciences Politiques,
Doumoua est mariée et si son époux ne milite pas régulièrement dans la rue, il ne l’empêche pas de le faire et sacrifie leur vie à deux pour que sa jeune femme contribue aux changements qu’elle prône depuis son plus jeune âge. «Mon mari appuie totalement nos revendications. Mais il me dit que les politiciens ne vont jamais accepter de céder même une petite miette de leur pouvoir. Mes parents sont fiers de moi, ils m’ont éduquée selon des principes précis et ce sont ces principes que je défends actuellement avec tant d’acharnement. Il est temps que les choses changent et nous devons déployer les efforts nécessaires pour cela. Le citoyen n’a aucun droit dans ce pays. Il est temps qu’il clame ses revendications dans la rue. Le chemin est long et ardu mais nous avons du moins réussi à rassembler les gens. Il n’y a plus de 14 et de 8 mars, il y a des citoyens unis qui souffrent des mêmes maux. Nous avons tous découvert que les responsables de tous bords ne souhaitent qu’une seule chose: se partager les parts du gâteau sans prendre en considération le bien public. Ma priorité? Elle va à l’instauration d’un état civil laïque, à l’adoption d’une nouvelle loi électorale basée sur la proportionnelle, il est temps que la justice sociale prévale, que la corruption soit pénalisée… Je lutterai jusqu’à la fin de mes jours pour ces valeurs. Et non! Je ne crains rien. Les Forces de sécurité nous ont lancé non seulement des pierres mais nous ont tiré dessus pour nous intimider mais en vain. Je suis convaincue de ma lutte et je peux vous assurer que dans 5 ans je serai toujours là, accompagnée de mes enfants pour m’insurger contre toutes les injustices et empêcher la classe politique actuelle de saigner le Liban, génération après génération.»
Danièle Gerges