Crise économique d’une part, mondialisation et essor des pays émergents d’autre part… Autant de facteurs qui pourraient affecter le secteur du luxe. Quand bien même, cet univers d’excellence ne semble pas menacé pour autant. Quoique son avenir laisse présager quelques bouleversements. Ira-t-on jusqu’à parler de révolution?
Le luxe à la française, une perception universelle
Ce n’est pas par hasard que le numéro un mondial du luxe est un groupe français: LVMH compte Louis Vuitton, Moët Hennessy et plus de 50 autres marques prestigieuses. En dépit de quelques signes de ralentissement, la France reste le numéro un sur un marché international de plus en plus concurrentiel.
Ce secteur génère 7,3% de croissance par an depuis vingt ans. Ses deux principaux acteurs au niveau mondial restent la France et l’Italie, suivis de la Suisse et de l’Allemagne.
Haute couture, maroquinerie, joaillerie, horlogerie, parfumerie, arts de la table, hôtellerie, gastronomie, immobilier, services. Les métiers du luxe sont aussi nombreux que variés. Toutefois, les entreprises haut de gamme sont tentées aujourd’hui par la délocalisation de leur production vers les pays émergents, dans une perspective de développement, de réduction de coûts, et pour pallier le manque de main d’œuvre locale. Aux côtés de ces géants, 38 000 entreprises artisanales assurent encore une production d’excellence bien que leur survie soit parfois fragile. Il s’agit principalement du travail du textile, des bijoux et du bois.
Sans compter que Paris reste la capitale internationale de la mode. Plus de 100 défilés s’y déroulent chaque année regroupant des créateurs venus du monde entier. Pas moins de 2 000 rédacteurs de mode assurent la couverture médiatique de ces défilés qui font travailler des centaines de couturiers, retoucheurs, mannequins, organisateurs, photographes, coiffeurs et autres maquilleurs.
Depuis 1954 le Comité Colbert a pour mission de faire rayonner l’art de vivre et le luxe français à l’étranger. Il réunit aujourd’hui 75 Maisons et 13 institutions culturelles. Se reconstruire autour d’une fierté française après la Seconde Guerre mondiale, telle était l’idée fondatrice du Comité Colbert.
Pour la troisième année consécutive, ce marché de l’opulence connaît une croissance à deux chiffres, avec une activité qui a quintuplé en 30 ans… selon une étude mondiale basée sur les résultats financiers de 230 sociétés de marques haut de gamme dans le monde. On avance le chiffre global de
250 milliards d’euros en 2015 générés par l’industrie du luxe.
Internet entre en ligne?
Voici un duo qui fait mauvais ménage, le piège des ventes discount étant très en vogue sur le réseau. Vendre sur le Web ne présente pas de danger si les marques en maîtrisent la diffusion. Toutefois, la possession de boutiques en propre est un point clé. Il faut rétablir de la distance, du désir. Il ne faut pas oublier que dans l’acte d’achat d’un produit de marque supérieure, l’environnement est déterminant: décor, prestige, accueil personnalisé, emballage et packaging font partie intégrante du plaisir d’acheter. Tout ceci est incompatible avec la vente on line. Difficile donc de jongler entre la tendance actuelle qui prône un prestige abordable et l’élitisme, vecteur traditionnel du luxe. En tout état de cause, les prévisions sont formelles: toujours plus de ventes sur Internet (+25% par an attendus), des attentes différentes de la jeune clientèle (de l’originalité plutôt que de la tradition). Ces prévisions ont été déduites suite à l’analyse des résultats financiers des 230 principales sociétés et marques de luxe dans le monde. Mais les grandes Maisons ont d’autant plus intérêt à bouger que la «démographie» de leurs clients glisse inexorablement vers une utilisation de plus en plus naturelle voire compulsive de la technologie. Ce glissement se traduit par un éparpillement de la démarche d’achat. Attirés par un plus grand nombre de griffes, sollicités par des sources d’informations toujours plus nombreuses, les consommateurs zappent, papillonnent, louvoient, d’informations en offres, d’opinions en tests produits. Le vendeur en boutique n’est plus qu’un maillon de la chaîne de décision du consommateur, aussi essentiel soit-il, notamment pour conseiller sur l’achat d’un produit. Les sources de rebond semblent infinies, et le luxe doit faire avec…
Pour les prochaines années, le luxe 2.0’, comprenez la nouvelle stratégie digitale des labels haut de gamme, semble être la clé de leur succès. Les chiffres donnent le vertige: 12 millions de fans sur Facebook pour Dior, 15 millions pour Burberry, 13 millions pour Vuitton. Derrière cette révolution digitale, de nouveaux profils geeks(1): les métiers du luxe version Web sont poussés sur le devant de la scène.
Jongler sans cesse…
Le vrai luxe induit un jeu subtil où il faut rentabiliser les investissements et s’afficher pour être visible du plus grand nombre. Un jeu qu’a réussi entre autres, la marque Nespresso avec brio. En 2005, ces fameuses capsules ont investi les magazines avec une campagne qui rompait avec les codes classiques du secteur et développé une campagne proche de l’univers des grandes Maisons qui cultivent le prestige sous toutes ses formes. Tout en communiquant sur les codes du luxe et en proposant des capsules de café à un prix non négligeable, elle a pourtant réalisé pour ses fameuses machines ultra design, une opération promotionnelle dont le but était de toucher le plus grand nombre. Serait-ce là une démocratisation de l’icône du luxe du café? «Absolument pas, explique son directeur marketing, nous nous faisons juste connaître. N’oublions pas que seulement 3% des ménages ont une machine Nespresso.» Le luxe c’est aussi cela: exposer au plus grand nombre ce que vous vendez finalement à très peu de gens. Osons le dire: le snobisme fait partie intégrante du secteur.
Marianne Saradar Barakat