«Il court, il court, le furet, Le furet du bois, mesdames, Il court, il court, le furet, Le furet du bois joli.»
Road Runner, de par sa simple définition, court. Mais chemin faisant, il fait la cour aussi. Son terrain de chasse? La Toile et ses millions de pixels XX potentiels. Road Runner plante son décor sur Facebook: une photo de profil dans laquelle on le devine plus qu’on ne le voit, un minimum d’infos (juste ce qu’il faut de références pour ne pas le classer d’office dans la case «pervers en puissance»), des posts réguliers de photos artistiques, des commentaires bien enrobés, le sens de la répartie. Pas de date de naissance et aucune information concernant sa vie privée. Le nom, en revanche, est vrai, ce n’est pas un pseudo, il est identifiable sur les pages jaunes en ligne: Google en l’occurrence.
Road Runner prend son temps avant de se manifester en message privé mais à partir du moment où le pas est franchi, il passe assez vite en mode «Speed Dating». Vous voici d’emblée passible d’être observée durant votre sommeil. «Ce doit être une image douce et paisible», vous dit-il. Euh, pardon? Pour regarder une personne dormir, il faudrait, au bas mot, se trouver dans la même pièce qu’elle, voire à ses côtés dans un lit… À moins de s’arranger pour être installé à côté d’elle sur un vol long-courrier… Chose très peu probable pour deux inconnus séparés par des milliers de kilomètres et un écran d’ordinateur. Bien sûr, vous feignez d’ignorer la perche et contournez cet incident diplomatique. Mais Road Runner entend chauffer les enchères. Le voici qui vous lance: «Je t’imagine nue sous tes vêtements, lovée dans un écrin rouge. Et alors s’ouvriront pour moi les portes de l’enfer.» Euh, vous avez affaire au héros de «Towering Inferno» ou à une réincarnation instantanée de Christopher Lee? D’autant plus qu’il évoque assez vite son côté vampire: «Je te volerai chaque once de chaleur»… Non non, vous vous êtes plantée de film, c’est plutôt «Psycho», c’est Hitchcock himself en 3 D! Vous manifestez clairement votre gêne, votre embarras face à ses propos hors contexte et surtout incohérents.
Il bat en retraite très vite. C’était juste un petit échauffement, histoire de mesurer votre seuil de tolérance. Dans la démesure. Quelques jours de silence passeront. Vous avez besoin d’oublier ses dérapages et lui cherche à se faire pardonner. Votre contact reprendra, l’air de rien, sur des sujets très comme il faut, des allers-retours de réflexions entre gens biens sous tous rapports. Et puis une rencontre live se dessine à l’horizon: vous serez dans la même ville pour 24 heures. Rendez-vous pris pour se téléporter dans le réel. Road Runner s’avère être très doux et ne ressemble en rien à Dracula. Votre carotide est en sécurité. Il est aimable, poli et attentif. Vous discutez longuement de vos projets respectifs. Il est amical, avenant et n’a rien du méchant loup que vous aviez un moment flairé. Seulement comme personne n’est parfait, son talon d’Achille est une affection très courante chez la gent masculine: la lâcheté. C’est un homme qui déteste tellement les conflits qu’il préfère se passer illico de votre amitié parce que sa conquête du moment (rencontrée aussi sur la Toile et vivant à sept fuseaux horaires de lui, mariée, 5 enfants et de toute évidence, l’utilisant comme une gâterie dans sa vie de bourgeoise nantie) est jalouse de vous et lui passe un savon à chaque fois que vous likez une de ses photos.
Pour le coup, vous tournez les talons sans préavis et abandonnez Road Runner au bord de la route… Bip bip!
B.I.
