Le leurre s’introduit dans votre vie avec une carte de visite (virtuelle d’abord) éclectique. Une photo de profil qui signe son penchant pour l’art et les philosophies «lao tseutistes», des statuts et des commentaires qui laissent deviner un panier de culture bien achalandé, et surtout de la finesse dans les propos. Tout cela vous semble alléchant et mystérieux à la fois.
D’ailleurs vous ne serez pas la seule à mordre à l’hameçon. Le leurre est bi: une femme et un homme à la fois. Femme dans l’écrit et homme à l’oral lorsque vous découvrirez – au premier test audio – un timbre dépourvu de douceur alors que le pseudo porte en lui des promesses brumeuses et doucereuses qui s’avéreront très loin de la réalité. Le leurre entretient son mythe assez longtemps et fait mouche auprès de nombreux internautes. Il faut dire que le profil est si bien enrubanné qu’on ne peut soupçonner une arrière-garde, elle, bien enturbannée.
Mais commençons dès le début, du temps où vous étiez conquise par cette personnalité virtuelle au point de la propulser sur le podium de vos portraits portés aux nues. Que du sucre pour cette âme si pure! Du coup, vos amis sont contaminés et le virus passe comme un rhume, dans un éternuement truffé de postillons. Il a suffi d’un atchoum pour qu’une icône naisse. Il faut dire que vous aviez bien balisé le terrain à coup de grandes effusions publiques et d’envolées lyriques. Et puis son statut d’expat en manque de sa terre natale plaçait, du coup, la barre très haut.
Le leurre prévoyait une visite du côté de son bled. Le séjour sera digne des Mille et Une Nuits. Comme un(e) envoyé(e) des dieux, cette personne sera l’invitée phare autour de laquelle festin sur festin se déploieront. Et de surenchère en surenchère, les invitations se sont mises à pleuvoir, jusqu’à lui offrir la chambre d’amis et surtout ne pas la laisser payer un seul denier. Séjour sponsorisé par l’amie et les amis de l’amie. Un vrai compte en banque sans plafond. Mais la banqueroute amicale attendait au tournant. Un premier mauvais pas et vous passez l’éponge après quelques mois de recul. Mais la récidive sera sans merci. Vous êtes loin d’être Mère Teresa et le leurre porte si bien son nouveau pseudo dévoilé et décoiffé.
Vous découvrez avec effroi qu’il suffisait qu’on lui verse un verre de vin de plus pour que les révélations lui sortent d’une bouche soi-disant scellée. Et ça potine sans satiété. Quant à sa vie privée, que vous pensiez proche de l’ascétisme, voilà que vous apprenez – limite choquée – que ses voies sont non seulement fort pénétrables mais que la circulation s’y est faite, sans encombre, dans les deux sens. Comme sur une autoroute sans péage. Dire que vous vous faisiez un sang d’encre lorsque vous aviez été mise dans la confidence d’un amour né après de longs mois d’échanges épistolaires… et que cet amour-là allait enfin être consommé et que le leurre s’y préparait, avec l’embarras de celui/celle qui ne sait pas, comme un(e) collégien(ne) prépubère.
Mais au final, l’idiote de service c’est surtout vous. D’autant plus que certains de vos amis, déçus par cette sordide contrefaçon, vous en ont voulu d’avoir fait la campagne de pub d’un être si près de ses sous qu’il est incapable d’offrir un café en retour à quiconque... Tant qu’à se faire entretenir, autant que ce soit de bout en bout. En pension complète, livre de chevet compris.
B.I.